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Au Pakistan, retour de la musique pachtoune après les années de sang

Pendant des années, tirs de Kalachnikov et attentats assourdissants ont couvert les mélodies endiablées de la musique des Pachtounes. Mais…

Pendant des années, tirs de Kalachnikov et attentats assourdissants ont couvert les mélodies endiablées de la musique des Pachtounes. Mais la tradition séculaire fait son retour alors que la situation sécuritaire s’améliore dans le nord-ouest du Pakistan, d’où ce groupe ethnique est originaire.

Les spectacles qui se déroulaient autrefois en secret, par crainte de représailles de groupes extrémistes, reprennent vie. Les magasins d’instruments de musique sont à nouveau ouverts et prospèrent, tandis que des chanteurs pop pachtounes ont la faveur des chaînes de télévision pakistanaises.

« La musique est le piment de la vie… elle fait partie de notre culture depuis des temps immémoriaux », affirme Farman Ali Shah, un poète du village de Warsak, près des zones tribales frontalières de l’Afghanistan et de ses quatre décennies de conflit.

Les mélodies pachtounes reposent sur des accords de rubabs, des instruments à corde traditionnels, posés sur le son clair des tablas, les percussions locales.

Elles poussent les hommes, dans cette culture très conservatrice et patriarcale où les femmes sont absentes des évènements publics, à des danses en cercle. Chaque participant y tourbillonne avec force moulinets des bras et autres pirouettes.

« Pendant des siècles, nous avons été une société libérale », assure pourtant le joueur de rubab et député Haider Ali Khan, originaire de la vallée de Swat. « Nous aimons notre religion mais en même temps nous aimons notre musique traditionnelle », ajoute-t-il.

Longtemps, les mélodies pachtounes ont pourtant été réduites au silence par les extrémistes.

A partir des années 1970, des mouvements islamistes rigoristes ont gagné en influence dans les zones pachtounes le long de la frontière avec l’Afghanistan. Leurs interprétations strictes de l’islam méprisaient la musique.

– Chaos –

Puis l’extrémisme est devenu violent, après l’invasion soviétique de l’Afghanistan en 1979, qui a vu l’émergence d’une génération de moudjahidines. Les talibans, au pouvoir à Kaboul entre 1996 et 2001, avaient interdit la musique.

L’intervention d’une coalition internationale menée par les Etats-Unis en Afghanistan a renversé leur règne. Mais elle a aussi plongé le Pakistan dans le chaos.

De nombreux groupes insurgés s’y sont réfugiés. Un mouvement taliban pakistanais s’est formé, prenant le contrôle de certaines parties du Khyber Pakhtunkhwa, la province du Nord-Ouest dont Peshawar est la capitale.

« Les extrémistes tuaient les artistes et les chanteurs pour créer la peur », explique le chanteur Gulzar Alam, lui-même attaqué à trois reprises, et qui s’est réfugié ces dernières années en Afghanistan.

« Si vous enlevez la culture d’une communauté, d’une tribu ou d’un groupe ethnique, la communauté sera éliminée », déplore-t-il.

Les représentations publiques ont été pratiquement interrompues par les attentats-suicides. Des bombes explosaient dans les marchés de CD. Les magasins d’instruments étaient anéantis.

Quelques courageux continuaient à inviter des musiciens pour des spectacles privés et autres mariages. Mais les groupes devaient se produire sotto voce, pour éviter d’être entendus par les islamistes.

« Ils demandaient aux gens d’arrêter la musique, mais les villageois ne les ont jamais acceptés », se souvient Noor Sher, dont la famille fabrique des rubabs à la main depuis 25 ans.

Des musiciens d’Afghanistan, où les Pachtounes constituent la principale ethnie, ont aussi fui la violence faisant rage dans leur pays. Certains se sont installés à Peshawar, où ils ont ouvert des écoles de musique, maintenant la tradition en vie.

– « Libérer l’esprit » –

L’armée pakistanaise a intensifié ses efforts pour vaincre les extrémistes en 2014. La sécurité s’est considérablement améliorée depuis.

Entre 2015 et 2018, les morts violentes – à caractère extrémiste, politique ou criminel – ont chuté de 80% dans le pays, passant de 6.574 à 1.131 décès répertoriés, selon le CRSS, un centre de recherche pakistanais.

« Maintenant, la situation est bonne, très bonne. Nous pouvons jouer n’importe où, quand les gens nous invitent », estime Akhtar Gul, un joueur de rubab.

Mais beaucoup restent prudents dans le nord-ouest pakistanais, craignant toujours des représailles. Certains interviewés par l’AFP ont refusé de critiquer les extrémistes.

Les attitudes conservatrices envers la musique continuent en outre de résonner dans la région. Abdul Latif, 24 ans, cache ainsi son amour pour le rubab à sa famille, qui considère que cet instrument dissone avec l’islam.

« Cela fait partie de la culture pachtoune, mais je pense que ma famille n’en est pas consciente », observe-t-il.

Pour des musiciens comme Gulzar Alam, forcés de fuir, les dégâts sont plus profonds.

« Il faut beaucoup de temps pour libérer l’esprit ou le cerveau des artistes de la peur », explique-t-il depuis Kaboul, qu’il cherche à quitter pour vivre en réfugié dans un pays occidental.

« On peut changer la politique d’un gouvernement d’un simple coup de crayon, cela ne prend pas beaucoup de temps », remarque le député Haider Ali Khan. « Mais changer l’état d’esprit que vous avez forgé en deux ou trois décennies, ce n’est pas facile », dit-il.

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