La condamnation de Hissène Habré: un précédent sans lendemain ?
Par Christophe Châtelot - 10/06/2016
Beaucoup d'observateurs souhaitent que la Cae marque la fin de l’impunité des dirigeants africains pour des graves crimes. Mais la seule formulation de ce vœu traduit l’ampleur de la tâche à accomplir
Historique. L’adjectif est souvent revenu pour caractériser le procès de l’ex-dictateur tchadien Hissène Habré, condamné, lundi 30 mai, à Dakar, à la prison à vie pour des crimes contre l’humanité commis durant sa présidence de 1982 à 1990. Ce fut un procès « historique pour l’Afrique » qui, pour la première fois, au nom de la compétence universelle, a jugé un ancien dirigeant africain pour des crimes de droit international commis dans un autre Etat que celui où il a été jugé. Historique, donc, mais ce procès marque-t-il la fin de l’impunité des dirigeants africains pour les crimes les plus graves ?
Dans la salle du tribunal, tout au long de ces audiences tenues de septembre 2015 à février 2016, on ne vit guère que l’ambassadrice du Zimbabwe faire preuve d’assiduité parmi une communauté diplomatique africaine brillant par son absence. Comme s’il ne fallait pas accréditer l’idée que ce procès d’un ex-président puisse en annoncer d’autres. La création des Chambres africaines extraordinaires (CAE) avait pourtant fait l’objet d’un large consensus, exprimé, le 2 juillet 2006, lors d’un sommet de l’Union africaine à Banjul, la capitale gambienne. « Au nom de l’Afrique », l’organisation continentale demandait alors au Sénégal de juger Hissène Habré, pays où il s’était immédiatement réfugié après avoir été chassé du pouvoir par les armes, en 1990. Ces CAE ont été taillées sur mesure pour juger un seul homme dont le bilan des exactions – répression aveugle contre des communautés accusées d’être liées à des rébellions, crimes politiques, etc. –, jamais établi avec précision, se chiffre en milliers de morts entre juin 1982 et décembre 1990.
Jusqu’alors, les auteurs de génocide et autres criminels contre l’humanité du continent n’avaient eu affaire qu’à des tribunaux ad hoc créés sous l’égide des Nations unies – Tribunal pénal international pour le Rwanda, Tribunal spécial pour la Sierra Leone – ou à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, créée en 2002. En 2006, la création des CAE est donc l’affirmation d’une souveraineté de l’Afrique sur ses propres dossiers judiciaires. Elle est également la revendication d’une forme de maturité démocratique, lentement acquise depuis la décolonisation des années 1960. A ce titre, la solidité des institutions sénégalaises, pays d’alternances démocratiques, apporte des garanties.
Dans la salle du tribunal, tout au long de ces audiences tenues de septembre 2015 à février 2016, on ne vit guère que l’ambassadrice du Zimbabwe faire preuve d’assiduité parmi une communauté diplomatique africaine brillant par son absence. Comme s’il ne fallait pas accréditer l’idée que ce procès d’un ex-président puisse en annoncer d’autres. La création des Chambres africaines extraordinaires (CAE) avait pourtant fait l’objet d’un large consensus, exprimé, le 2 juillet 2006, lors d’un sommet de l’Union africaine à Banjul, la capitale gambienne. « Au nom de l’Afrique », l’organisation continentale demandait alors au Sénégal de juger Hissène Habré, pays où il s’était immédiatement réfugié après avoir été chassé du pouvoir par les armes, en 1990. Ces CAE ont été taillées sur mesure pour juger un seul homme dont le bilan des exactions – répression aveugle contre des communautés accusées d’être liées à des rébellions, crimes politiques, etc. –, jamais établi avec précision, se chiffre en milliers de morts entre juin 1982 et décembre 1990.
Jusqu’alors, les auteurs de génocide et autres criminels contre l’humanité du continent n’avaient eu affaire qu’à des tribunaux ad hoc créés sous l’égide des Nations unies – Tribunal pénal international pour le Rwanda, Tribunal spécial pour la Sierra Leone – ou à la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye, créée en 2002. En 2006, la création des CAE est donc l’affirmation d’une souveraineté de l’Afrique sur ses propres dossiers judiciaires. Elle est également la revendication d’une forme de maturité démocratique, lentement acquise depuis la décolonisation des années 1960. A ce titre, la solidité des institutions sénégalaises, pays d’alternances démocratiques, apporte des garanties.

© Droits reservés
Hissène Habré aurait choisi une autre terre d’exil, moins soucieuse de sa réputation, son procès n’aurait peut-être jamais eu lieu. Menguistu Haïlé Mariam, l’homme de « la terreur rouge » en Ethiopie, coule ainsi des jours tranquilles au Zimbabwe depuis 1991, malgré une condamnation à mort par contumace dans son pays. Quand Hissène Habré débarqua à Dakar, les malles remplies de billets de banque soustraits au Trésor tchadien, l’impunité des anciens tortionnaires africains ne faisait d’ailleurs pas débat. Il a fallu attendre l’an 2000 pour voir la première plainte déposée contre lui.
La justice internationale a alors le vent en poupe. Les guerres balkaniques du début des années 1990 ont entraîné la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). L’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet est arrêté à Londres. Le projet d’une Cour pénale internationale à compétence universelle avance. Subitement, Hissène Habré devient vulnérable au Sénégal. Ses crimes ont été documentés par Amnesty International au temps de son règne. L’équipe de Reed Brody au sein de Human Rights Watch organise la traque. Ses victimes réclament justice avec acharnement. La justice belge enquête. Le Sénégal le lâche progressivement. « Politiquement, l’homme est une branche morte ; plus personne, ni à l’intérieur du Tchad ni à l’extérieur, ne le soutient », analyse Reed Brody.
La CPI accusée de néocolonialisme
D’autant que ce procès, et ce fut l’une de ses faiblesses, éluda des questions qui auraient pu déranger, tels que le soutien de la France et des Etats-Unis à Hissène Habré au moment de ses crimes. Ou la responsabilité d’Idriss Déby, tombeur d’Hissène Habré en 1990, indéboulonnable président du Tchad depuis, mais chef d’état-major au moment des faits. Il en fut d’autant moins question que l’accusé, récusant la légalité des CAE, a choisi le mutisme comme mode de défense. Ces spécificités limitent les possibilités de reproduire ce procès contre d’autres tortionnaires africains. D’autant que le vent a tourné. Une fronde s’est levée en Afrique contre la CPI, accusée de néocolonialisme et de ne poursuivre que des Africains. Fin janvier, à Addis-Abeba, une résolution proposée par le président kényan Uhuru Kenyatta a été adoptée à huis clos par l’assemblée des chefs d’Etat de l’Union africaine, présidée, depuis la veille, par Idriss Déby. Elle prévoit [i « l’élaboration d’une feuille de route pour un retrait [des Etats africains] de la CPI »].
Cette menace vise une institution judiciaire dans le collimateur des Africains depuis l’inculpation du président soudanais, toujours au pouvoir, Omar Al-Bachir, pour les crimes commis au Darfour. Une réflexion a bien vu le jour parmi les pourfendeurs de la CPI sur la création d’une juridiction permanente visant à juger en Afrique les crimes contre l’humanité commis sur le continent. Instituée par le protocole de Malabo, approuvée par l’Union africaine en juin 2014, cette cour garantit l’immunité des chefs d’Etat et de gouvernement, à l’heure où se multiplient les tripatouillages constitutionnels en Afrique pour permettre à un certain nombre de présidents de rester quasi éternellement au pouvoir.
Commentant le verdict du procès d’Hissène Habré, le chercheur d’Amnesty International Gaëtan Mootoo espère que ce procès « incitera l’Union africaine et chaque Etat africain à suivre cet exemple afin que justice soit rendue à d’autres victimes dans d’autres pays du continent ». La seule formulation de ce vœu traduit l’ampleur de la tâche à accomplir.
La justice internationale a alors le vent en poupe. Les guerres balkaniques du début des années 1990 ont entraîné la création du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY). L’ancien dictateur chilien Augusto Pinochet est arrêté à Londres. Le projet d’une Cour pénale internationale à compétence universelle avance. Subitement, Hissène Habré devient vulnérable au Sénégal. Ses crimes ont été documentés par Amnesty International au temps de son règne. L’équipe de Reed Brody au sein de Human Rights Watch organise la traque. Ses victimes réclament justice avec acharnement. La justice belge enquête. Le Sénégal le lâche progressivement. « Politiquement, l’homme est une branche morte ; plus personne, ni à l’intérieur du Tchad ni à l’extérieur, ne le soutient », analyse Reed Brody.
La CPI accusée de néocolonialisme
D’autant que ce procès, et ce fut l’une de ses faiblesses, éluda des questions qui auraient pu déranger, tels que le soutien de la France et des Etats-Unis à Hissène Habré au moment de ses crimes. Ou la responsabilité d’Idriss Déby, tombeur d’Hissène Habré en 1990, indéboulonnable président du Tchad depuis, mais chef d’état-major au moment des faits. Il en fut d’autant moins question que l’accusé, récusant la légalité des CAE, a choisi le mutisme comme mode de défense. Ces spécificités limitent les possibilités de reproduire ce procès contre d’autres tortionnaires africains. D’autant que le vent a tourné. Une fronde s’est levée en Afrique contre la CPI, accusée de néocolonialisme et de ne poursuivre que des Africains. Fin janvier, à Addis-Abeba, une résolution proposée par le président kényan Uhuru Kenyatta a été adoptée à huis clos par l’assemblée des chefs d’Etat de l’Union africaine, présidée, depuis la veille, par Idriss Déby. Elle prévoit [i « l’élaboration d’une feuille de route pour un retrait [des Etats africains] de la CPI »].
Cette menace vise une institution judiciaire dans le collimateur des Africains depuis l’inculpation du président soudanais, toujours au pouvoir, Omar Al-Bachir, pour les crimes commis au Darfour. Une réflexion a bien vu le jour parmi les pourfendeurs de la CPI sur la création d’une juridiction permanente visant à juger en Afrique les crimes contre l’humanité commis sur le continent. Instituée par le protocole de Malabo, approuvée par l’Union africaine en juin 2014, cette cour garantit l’immunité des chefs d’Etat et de gouvernement, à l’heure où se multiplient les tripatouillages constitutionnels en Afrique pour permettre à un certain nombre de présidents de rester quasi éternellement au pouvoir.
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